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LES MEDIAS1 – Textes généraux 17 Janvier 1997, p. 9Journalistes en question Qui aime bien châtie bien. Et qui peut mieux aimer les hommes politiques et les journalistes qu'un " politologue médiatique " ? Qui donc pourrait mieux les mettre en garde, sinon les châtier ? Fort de cet imparable syllogisme, Roland Cayrol lance un cri d'alarme : attisée par de spectaculaires dérapages comme l'attitude des médias à Timisoara, leur rôle pendant la guerre du Golfe, la vraie-fausse interview de Fidel Castro par Patrick Poivre d'Arvor ou la présence de ce dernier parmi les condamnés de l'affaire Botton, " la méfiance à l'égard du journalisme prend des proportions inquiétantes " . Ce n'est pas de la faillite d'une profession qu'il s'agit, insiste-t-il prudemment, mais bien " de la dérive progressive d'un système d'information ". Dérive, voilà le mot lâché, avec les lourds soupçons qui l'accompagnent d'une sorte de relâchement moral, d'un manque de vigilance. Le réquisitoire est à double tranchant. Le " vertige " de la télévision est tel, désormais, chez bon nombre de responsables politiques qu'ils ne gouvernent plus qu'" aux médias ", faisant " de la retombée médiatique l'objet même de leur politique ". Pour Roland Cayrol, " recherche permanente de l'effet d'annonce, conjuguée au plaisir de s'abandonner à la vedettisation à la ``starisation``, tels sont les deux ingrédients habituels de la dérive médiatique chez nos hommes politiques ". Deuxième grief : la dictature croissante du marketing du spectacle politique conduit à gommer du discours politique tout ce qui est trop sérieux ou complexe. " Le risque dans lequel on tombe le plus souvent est non seulement de simplifier le langage politique ", avec le souci louable de rendre la politique compréhensible et attrayante, " mais de l'appauvrir ". L'analyse très fouillée et souvent passionnante de la grand-messe française du journal télévisé menée par Arnaud Mercier éclaire utilement ce constat. " Le journal télévisé se caractérise par la pauvreté visuelle ", note-t-il, en s'appuyant sur un décodage rigoureux de la rhétorique du " 20 heures ". Non seulement l'image y est le plus souvent réduite à un rôle " purement illustratif ", au détriment de sa valeur démonstrative, pédagogique ou informative. Mais en outre, le commentaire, largement dominant, repose sur " un parti pris résolument institutionnaliste, légitimiste et consensualiste ". Autrement dit, lourdement réducteur. Enfin, nos deux politologues, le médiatique et le savant, se rejoignent pour s'inquiéter de l'effet de " déréalisation de la politique " que provoque l'impérialisme télévisuel. " On est dans un monde où la volonté de séduction, disons le racolage, remplace l'essai de persuasion. Où la posture remplace l'argument ", juge Cayrol. A quoi Mercier ajoute : " La télévision induit un mode de régulation politique qui permet de rapprocher tout en éloignant, d'atteindre le plus grand nombre tout en se maintenant à distance des interpellations trop directes. " Bref, elle conduit à une " refonte de l'économie politique démocratique ", reposant sur une " communication univoque " et sur " la distance dans la relation entre gouvernants et gouvernés ". La volée de bois vert n'est pas moins vigoureuse à l'encontre des journalistes. De ce côté-là, estime Roland Cayrol, les dérives tiennent d'abord au " manque de formation, de compétence, de travail ", bref au manque de " sérieux " des journalistes, qui donnent trop souvent " cette détestable impression d'un métier plus survolé que maîtrisé ". A quoi s'ajoute le vieux grief d'un " journalisme de connivence " où l'interpénétration est constante, excessive, voire coupable, entre les journalistes et les décideurs qu'ils sont chargés de suivre. Et Arnaud Mercier décrypte sans pitié ces " intérêts croisés ", cette " nécessaire coopération ", ces " jeux de promotion réciproque " qui lient journalistes et responsables politiques, même si cette complicité se veut " sourcilleuse ". Mais la critique la plus mordante est ailleurs. " L'objet de la quête médiatique, c'est, au sens de la tragédie classique, la péripétie, l'événement susceptible de modifier le cours de l'action ", rappelle Cayrol. " Mais qui ne voit à quel point elle devient obsédante ? ", interroge-t-il, avant de dénoncer " ce grand vent du ``scoop`` événementiel sans recul ", qui renvoie à plus tard " le temps de la réflexion, du commentaire, de la précaution " : " Telle est devenue la dure loi de la concurrence intermédiatique, en temps réél. " Or les médias, en particulier la télévision, pèsent de plus en plus fortement sur les " règles du jeu démocratique ", ils tendent à devenir " le lieu solennel d'arbitrage du débat politique ". Dès lors, questionne Cayrol, peut-on observer sans réagir les " dérives " du système d'information ? Il préconise, en revanche, la création d'un " comité national de l'éthique de l'information " qui pourrait être désigné, " en dehors de leur profession, par les journalistes eux-mêmes " et qui devrait être doté du pouvoir de sanctionner, ou du moins de " blâmer " publiquement, en cas de manquement aux règles déontologiques. Le débat n'est pas nouveau. Il soulève la controverse. Ce n'est pas une raison pour l'écarter d'un revers de la main. MÉDIAS ET DÉMOCRATIE, LA DÉRIVE de Roland Cayrol. Presses de Sciences-Po, 118 p., 75 F. LE JOURNAL TÉLÉVISÉ d'Arnaud Mercier. Presses de Sciences-Po, 346 p., 210 F. 23 octobre 1998, page 36 |